Il est cinq heures du matin et je suis plongé dans un profond sommeil.
Le téléphone sonne. Je finis par émerger et je décroche.
J’entends la voix grave de mon neveu qui me dit simplement : « C’est fini ! ».
Je reste un moment silencieux. La nouvelle à laquelle je m’attendais depuis la veille est tombée. Elle me brise.
Je finis par lui répondre : « J’arrive dès que je peux. Je te tiens au courant. »
Je raccroche le téléphone et je regarde par la fenêtre. Le jour n’est pas encore levé. L’immeuble est silencieux. Le jardin aux pieds de mon appartement est encore sombre.
Nous sommes le 22 mars 2003. Je suis orphelin.
Chacun d’entre nous a eu une mère un jour. Notre histoire avec elle est toujours unique. Elle est faite de son histoire, de notre rencontre, de nos amours et de nos désamours.
Louise était née le 31 mai 1922. Ses parents étaient en admiration devant cette jolie princesse qu’elle n’allait pas manquer de devenir.
Son père, nommé Damase, receveur des Postes et ancien combattant de la Première Guerre Mondiale, était un bel homme, séducteur à ses heures, mais tendrement fidele à sa jolie épouse. Il l’avait épousé en 1921. Après une longue cour, il lui avait finalement demandé sa main. Leur mariage avait réuni deux familles totalement opposées.
Lui, était fils, petit-fils, arrière petit-fils, d’ouvriers travaillant pour la Manufacture d’Armes de Châtellerault. Elle, dame employée du bureau de Poste de Tours vivait avec sa mère, commerçante, vivant confortablement. Leur amour fit taire très vite les différences d’origine.
En 1928, un frère naquit, Pierre, ou plutôt Pierrot.
L’enfance de Louise fut heureuse jusqu’au jour de la mort de son père. Elle n’avait que 12 ans. Gazé pendant la guerre, il avait réussi à construire une jolie vie à sa femme et ses enfants. Il mourut de tuberculose, maladie qu’il transmit à sa fille. La vie de Louise en fut bouleversée. Elle se retrouvât très vite en sanatorium. De courts en longs séjours, elle finit par s’installer, dans sa maladie qui la suivit jusqu’au bout, en résistant.
C’est dans un de ces sanatoriums qu’elle rencontra Firmin, mon père, et qu’ils vécurent, heureux.
Mais tout ça est une longue histoire que je raconterais peut-être, un jour.
Nous avions pris l’habitude de nous écrire de longs courriers, un par semaine au moins. Il était pour elle, l’occasion de me raconter son quotidien, ses petites histoires, ses états d’âme, ses colères aussi, ses révoltes.
De mon côté, j’étais moins loquace, mais ces échanges quotidiens nous étaient vitaux.
J’ai eu le désir de retrouver ce plaisir pour un moment.
Ma chère maman
Cette année tu es centenaire. Et je veux fêter ce 31 mai, date de ton anniversaire, en ta compagnie.
Je ne sais pas grand-chose de tes années d’avant, avant ma naissance. En dehors de ton enfance heureuse, je ne sais rien de ton adolescence et de tes premiers pas d’adulte jusqu’à ce 28 juin 1957. Il faut dire que cette date est bien le centre de ma vie : avant le monde n’existait pas, je ne pouvais pas le nommer.
Par bribes, tu semais quelques graines afin que je te connaisse mieux. Féministe avant l’heure, tu as, tout au long de ta vie brandi haut le drapeau de la liberté et de l’indépendance, ta liberté et ton indépendance. Mais je ne sais rien de tes rencontres, de tes histoires, de tes amours. Par pudeur, tu fais partie d’une génération qui taisait ses sentiments : de toute façon, certains sujets ne devaient pas être abordés devant les enfants ! Je suis né, tu avais déjà 35 ans et j’ai toujours été curieux d’en savoir plus. Devant tes silences, j’ai imaginé une maman séductrice et irrésistible, une maman à qui rien, ni personne, ne résistait.
La preuve en est : à l’âge de 18 ans, tu avais attrapé, oui c’est comme ça qu’on dit, la tuberculose. Cette maladie avait emporté ton bien-aimé papa, ramenée des tranchées dans lesquelles il avait été gazé ! Elle t’a suivi tout au long de ta vie, y compris lorsque tu m’attendais, t’obligeant, à ma naissance à me laisser entre d’autres bras, une pouponnière puis heureusement une famille, qui m’a accueilli comme un fils et m’a accompagné de près et de loin.
Lorsque j’ai pu rentrer à la maison, tu m’as dit que je t’avais fait verser de nombreuses larmes, je ne te voulais pas. Pourtant, peu à peu tu m’as apprivoisé et tu as fait de moi ton fils unique et adoré.
Il n’est pas si simple de te rendre un véritable hommage à toi qui fût cette mère absente du début. Et pourtant, au-delà j’ai toujours eu une mère aimante, une mère peureuse et inquiète, une mère protectrice aussi bien qu’une mère autoritaire, une mère coléreuse, une mère castratrice parfois.
Il me reste de toi ma maman fusion, ma maman adorée, ma maman fantasmée.
Dans ma mémoire tu es cette maman mère vieillissante qui avait tellement peur de perdre la tête.
Tu es la mère que j’aimerai toujours, cet être unique avec qui j’ai partagé mon existence. Tu es devenue un immense sentiment d’amour éternel.