LETTRE A MA MERE QUI EST AUX CIEUX (ENFIN J’ESPERE !)

Il est cinq heures du matin et je suis plongé dans un profond sommeil.

Le téléphone sonne. Je finis par émerger et je décroche.

J’entends la voix grave de mon neveu qui me dit simplement : «  C’est fini ! ».

Je reste un moment silencieux. La nouvelle à laquelle je m’attendais depuis la veille est tombée. Elle me brise.

Je finis par lui répondre : «  J’arrive dès que je peux. Je te tiens au courant. »

Je raccroche le téléphone et je regarde par la fenêtre. Le jour n’est pas encore levé. L’immeuble est silencieux. Le jardin aux pieds de mon appartement est encore sombre.

Nous sommes le 22 mars 2003. Je suis orphelin.

Chacun d’entre nous a eu une mère un jour. Notre histoire avec elle est toujours unique. Elle est faite de son histoire, de notre rencontre, de nos amours et de nos désamours.

Louise était née le 31 mai 1922. Ses parents étaient en admiration devant cette jolie princesse qu’elle n’allait pas manquer de devenir.

Son père, nommé Damase, receveur des Postes et ancien combattant de la Première Guerre Mondiale, était un bel homme, séducteur à ses heures, mais tendrement fidele à sa jolie épouse. Il l’avait épousé en 1921. Après une longue cour, il lui avait finalement demandé sa main. Leur mariage avait réuni deux familles totalement opposées.

Lui, était fils, petit-fils, arrière petit-fils, d’ouvriers travaillant pour la Manufacture d’Armes de Châtellerault. Elle, dame employée du bureau de Poste de Tours vivait avec sa mère, commerçante, vivant confortablement. Leur amour fit taire très vite les différences d’origine.

En 1928, un frère naquit, Pierre, ou plutôt Pierrot.

L’enfance de Louise fut heureuse jusqu’au jour de la mort de son père. Elle n’avait que 12 ans. Gazé pendant la guerre, il avait réussi à construire une jolie vie à sa femme et ses enfants. Il mourut de tuberculose, maladie qu’il transmit à sa fille. La vie de Louise en fut bouleversée. Elle se retrouvât très vite en sanatorium. De courts en longs séjours, elle finit par s’installer, dans sa maladie qui la suivit jusqu’au bout, en résistant.

C’est dans un de ces sanatoriums qu’elle rencontra Firmin, mon père, et qu’ils vécurent, heureux.

Mais tout ça est une longue histoire que je raconterais peut-être, un jour.

Nous avions pris l’habitude de nous écrire de longs courriers, un par semaine au moins. Il était pour elle, l’occasion de me raconter son quotidien, ses petites histoires, ses états d’âme, ses colères aussi, ses révoltes.

De mon côté, j’étais moins loquace, mais ces échanges quotidiens nous étaient vitaux.

J’ai eu le désir de retrouver ce plaisir pour un moment.

Ma chère maman

Cette année tu es centenaire. Et je veux fêter ce 31 mai, date de ton anniversaire, en ta compagnie.

Je ne sais pas grand-chose de tes années d’avant, avant ma naissance. En dehors de ton enfance heureuse, je ne sais rien de ton adolescence et de tes premiers pas d’adulte jusqu’à ce 28 juin 1957. Il faut dire que cette date est bien le centre de ma vie : avant le monde n’existait pas, je ne pouvais pas le nommer.

Par bribes, tu semais quelques graines afin que je te connaisse mieux. Féministe avant l’heure, tu as, tout au long de ta vie brandi haut le drapeau de la liberté et de l’indépendance, ta liberté et ton indépendance. Mais je ne sais rien de tes rencontres, de tes histoires, de tes amours. Par pudeur, tu fais partie d’une génération qui taisait ses sentiments : de toute façon, certains sujets ne devaient pas être abordés devant les enfants ! Je suis né, tu avais déjà 35 ans et j’ai toujours été curieux d’en savoir plus. Devant tes silences, j’ai imaginé une maman séductrice et irrésistible, une maman à qui rien, ni personne, ne résistait.

La preuve en est : à l’âge de 18 ans, tu avais attrapé, oui c’est comme ça qu’on dit, la tuberculose. Cette maladie avait emporté ton bien-aimé papa, ramenée des tranchées dans lesquelles il avait été gazé ! Elle t’a suivi tout au long de ta vie, y compris lorsque tu m’attendais, t’obligeant, à ma naissance à me laisser entre d’autres bras, une pouponnière puis heureusement une famille, qui m’a accueilli comme un fils et m’a accompagné de près et de loin.

Lorsque j’ai pu rentrer à la maison, tu m’as dit que je t’avais fait verser de nombreuses larmes, je ne te voulais pas. Pourtant, peu à peu tu m’as apprivoisé et tu as fait de moi ton fils unique et adoré.

Il n’est pas si simple de te rendre un véritable hommage à toi qui fût cette mère absente du début. Et pourtant, au-delà j’ai toujours eu une mère aimante, une mère peureuse et inquiète, une mère protectrice aussi bien qu’une mère autoritaire, une mère coléreuse, une mère castratrice parfois.

Il me reste de toi ma maman fusion, ma maman adorée, ma maman fantasmée.

Dans ma mémoire tu es cette maman mère vieillissante qui avait tellement peur de perdre la tête.

Tu es la mère que j’aimerai toujours, cet être unique avec qui j’ai partagé mon existence. Tu es devenue un immense sentiment d’amour éternel.

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Chronique d’une fin du monde amorcée

Mercredi 15 juin 2022. Nous y sommes. Les températures montent. La sécheresse court. L’humain consomme. Les egos pullulent.

Les mouches copulent abondamment sur les restes de nos sociétés en putréfaction.

Je regarde par la fenêtre et je vois une lumière blanche qui écrase nos terres. Blanche comme la vie qui s’en va.

Le grand silence a remplacé les chants d’oiseaux, il n’y a plus d’oiseaux : morts en plein vol, complètement déshydratés, ils se sont écrasés au sol. Cigales et grillons se sont tus. La petite vipère se consume sur la pierre. Le lézard fond. Le sanglier et le chevreuil, pas encore chassés, regardent, assoiffés, le torrent asséché. Le saumon étouffe dans une eau verdâtre.

L’homme se protège en se calfeutrant dans des maisons surclimatisées, continuant de faire monter la température extérieure. Conscient de sa perte, il se bourre de glaces avant qu’elles ne disparaissent totalement.

Je regarde ce gâchis et c’est la nausée qui me gagne.

L’état des lieux est catastrophique. Quand la terre nous a été offerte, il y a déjà quelques milliers d’années, le loup et la girafe courraient librement sur des terres verdoyantes et pures. L’araignée pouvait tisser sa toile sereinement et l’abeille butinait tranquillement des fleurs aux multiples senteurs et couleurs. Le dauphin batifolait de vague en vague.

La pomme n’était pas allée dans la bouche d’Adam et la planète avait encore un « à venir ».

Aujourd’hui, les comptes sont à faire, il faut bien rendre un jour ce que l’on a emprunté. A son passage, l’homme a tout exploité, tout souillé, rien entretenu, rien nettoyé. A la fin de son bail, il laissera une planète exsangue et le nouveau locataire devra faire une sacrée remise en état.

 Je vous entends déjà, vous qui allez me lire… Je suis trop négatif, trop pessimiste, je n’ai pas confiance en l’humain et ses capacités (laissez-moi rire), je ne propose rien (oui, je l’avoue en toute humilité), etc. C’est vrai, je mets du pétrole dans ma voiture, j’ai un téléphone portable, j’utilise Internet comme un fou, je ne bouffe (oui, je dis bien bouffe) pas toujours local, je suis parfois consommateur et non consomm’acteur, je bois de l’eau en bouteille (de plastique), j’achète du savon et de la lessive liquide en flacon… Non, je ne donne des leçons à personne.

Et …

Le bout du chemin : pour en finir… ou pas ?

La différence entre l’homme et l’animal réside, peut-être, dans la conscience que le mot fin s’écrit définitivement.

Je n’ai pas peur désormais. Je suis prêt à accepter cette invitation pas très glamour au festin où chacun de nous est finalement convié. Je serai, sans doute, presque heureux de m’envoler dans les ramures de l’infini.

Ce jour-là, je ne veux pas de croix, ni de pleurs. Je veux des chants et des danses.

Je ne veux pas d’un type qui va dire des conneries alors qu’on me mettra en terre.

De toute façon, je ne veux pas que mon corps soit enfoui dans un gouffre trop sombre où la lumière se confond avec les ténèbres.

Je veux m’envoler dans les flammes et que l’on jette mes cendres sur cette terre que j’ai aimée avec passion, en un lieu que j’affectionne particulièrement.

Et puis, non…de toute façon….ce n’est pas vrai qu’on meurt !

Demain 9 septembre 2021

Des mots pour quelques maux qui résonnent en moi aujourd’hui.

« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai….

J’irai par la forêt, j’irai par la montagne….

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. 

…»

Pourtant demain la campagne ne sera pas blanche, je n’irai pas courir dans les bois, je ne marcherai pas à pied.

Je me laisserai porter, emporter, pour un voyage incertain, à la recherche d’une santé retrouvée.

Avec la peur au ventre, je vais y aller.

Avec confiance et foi, je me dis que tout ira bien et que cette foutue trouille me passera…. Après !

Il ne restera que quelques méchants mots : putain de crabe tu ne m’auras pas.

Un secret de famille

Il s’appelait Toussaint et était né en 1908. Cette année aurait pu être une année de joie et, pourtant, elle fut aussi une année tragique. Son père, mineur de fond dans les environs de Saint-Etienne, mourut.

Toussaint avait un frère de cinq ans son aîné, Paul, né en 1903.


Aucune assurance, nulle indemnisation, ils vécurent avec leur mère dans une misère quasi totale avec pour seul secours, les bonnes œuvres bien catholiques de l’époque.


Les deux garçons reçurent une éducation rigide. Augustine leur mère ne craignait rien ; elle avait la main leste et les coups de bâton pleuvaient fréquemment.

Leur histoire aurait pu être identique à l’histoire de bien des gens nés avec le siècle. Et pourtant !

Toussaint était le fils préféré.

De brillantes études l’avaient conduit à devenir contremaître pour la mine.

Avec son mètre quatre-vingt et sa carrure d’athlète, il restait célibataire. Il était attentif à sa tenue et aimait porter des chemises de soie.

Immature au regard de la morale catholique ambiante, il menait, paraît-il, une vie dissolue. Grand séducteur, il se disait dans le pays que ses nombreuses maîtresses n’en voulaient qu’à sa fortune acquise à force de travail.

Son succès considérable auprès des femmes rendait tous ses camarades jaloux.

Paul de son côté conduisait les chevaux de trait au fond de la mine, Toussaint dirigeait les équipes de mineurs. Il aimait son travail et l’exerçait avec passion.

Autour de cet homme que la morale catholique bien pensante condamnait, les bouches se taisaient et les regards condamnaient.

Cet homme immature, coureur de jupons, sans aucune morale était un grand joueur et lors d’une promenade, il a trouvé une grenade. Il l’a dégoupillée, a regardé son frère dans les yeux et ne l’a pas lâchée… « pour voir » selon Paul. Ce furent ses derniers mots.

Mais une autre histoire court parmi certains membres de la famille : la véritable, qui ne ment pas ! L’histoire que Paul n’a jamais pu cacher totalement !

Nous sommes en juillet 1936, l’ambiance était à la fête. En ce 14 juillet, comme à son habitude, Toussaint est revêtu de sa chemise de soie bleue. Il se sait étincelant et irrésistible lorsqu’il la porte. Elle souligne ses yeux bleu acier en forme d’amande. Ses cheveux blonds plaqués, ses longs cils, son sourire, tout le rend séduisant. Toutes n’ont d’yeux que pour lui.

Et pourtant !

Dans un coin, assis tranquillement à une table, buvant une bière, il le voit. Leurs regards se croisent, et la foudre soudain tombe à leurs pieds.

Subtilement Toussaint s’approche de la table et de ce garçon. Ils ne se quittent plus des yeux, c’est comme si le monde s’est arrêté de tourner. Il n’y a plus de musique, plus personne autour d’eux qui peut les regarder. Ils sont seuls.

Ils savent.

Toussaint vient de rencontrer Lucien. Ils vont vivre leur amour caché aux yeux du monde.

Un jour, la mère de Lucien va découvrir les deux jeunes hommes en train de s’embrasser. C’est une femme ouverte et tolérante qui aime profondément son fils. Elle les laisse à leur histoire et ne les juge pas.

Toussaint rendait ainsi de très fréquentes visites à Lucien. C’était facile, la famille habitait dans un village sur le chemin de la mine, et le père faisait partie d’une des équipes gérées par Toussaint.

Silicose aidant, le père mourut et à son décès, la Dame et ses enfants emménagèrent dans une petite maison : Toussaint s’installa alors avec eux.

Ce fut l’horreur pour les petits bourgeois bien pensants de cette France profonde. Tous pensaient que Toussaint s’installait chez sa maîtresse. Cette femme, fraichement veuve, avait l’âge de sa mère.

L’amour qui portait Toussaint était un amour inavouable. Il était amoureux de Lucien sous le regard bienveillant de la supposée maîtresse ! Ensemble ils se vautraient dans les plaisirs et les délices d’un sentiment inacceptable pour cette France catholique, intransigeante, intolérante.

Cette Dame, cette mère, a accepté les insultes non pas pour elle-même, mais pour permettre à son fils d’être heureux avec celui qu’il aimait.

Leur courage pendant la guerre opposant la France aux Nazis fut remarquable. Lucien s’était spécialisé dans l’aide aux enfants juifs et Toussaint appartenait à un des réseaux secrets qui combattaient l’envahisseur. Actifs tous deux, leur amour grandit dans les méandres de la grande histoire.

Cette histoire aurait pu durer. Mais épuisé par des années de courses et de dévouements, Lucien mourut début 1945 de la tuberculose après d’atroces souffrances.

Toussaint ne l’a pas supporté et a choisi de se donner la mort sous les yeux de son frère après lui avoir tout dévoilé.

Il aurait eu 37 ans cette année-là.

Le prêtre

Grand blond aux yeux vert clair, Stephane était un beau jeune homme, bien fait de sa personne. Il vivait dans un pays de lumière aux senteurs méditerranéennes. Il traînait son adolescence de villa en villa. Comme lui, ses amis appartenaient à la jeunesse dorée de ces pionniers venus s’installer là près d’un siècle auparavant.

Dans ce pays, la chaleur des journées d’été écrasait les terres autrefois arides qui avaient été mises en culture par les premiers colons. Des parfums lourds et sucrés exultaient de la terre et des jardins bouillonnant de fleurs de la propriété familiale. Son enfance fut faite de douceurs et de plaisirs.

Ce coin du monde était peuplé de gens chaleureux à l’accent particulièrement chantant.

Quand il eut 17 ans, la région chaude devint brûlante. Son père attentif à l’histoire qui se déroulait sous leurs yeux avait vite compris qu’ils allaient devoir quitter ce pays devenu, croyaient-ils, le leur en quelques décennies.

Stephane se retrouva alors à Paris, trop grande ville pour lui et surtout trop grise. Il avait perdu son soleil. En quelques mois, il devint comme translucide. Il avait perdu tous ses amis et sa vie n’avait plus de sens.

C’est alors qu’il fit la connaissance de Pierre. Pierre était un homme qui avait voué sa vie aux hommes et à Dieu : prêtre ouvrier, il travaillait dans une manufacture tout en officiant dans une banlieue ouvrière. Son église était fréquentée par de pauvres gens vêtus bien souvent de haillons, mais qui avaient toujours la lumière dans leur regard.

Pierre devait avoir 30 ans, Stephane venait de fêter ses 20 ans.

Pierre avait le physique d’un ouvrier agricole. Bien taillé, mat de peau, les yeux sombres, il était tout l’inverse de Stephane. On aurait dit qu’un ancêtre venant d’Afrique était passé par là ! Il avait toujours une cigarette accrochée à ses lèvres charnues.

Pendant ses sermons, sa voix forte envahissait la petite église et ses mains puissantes animaient avec énergie ses homélies lyriques et colorées.

Stephane avait l’habitude d’entrer dans les églises. Oh, non pas par esprit de religion mais plutôt pour se laisser porter par certains souvenirs d’enfance et de bonheur. Il ne se recueillait pas. Il humait les parfums d’encens, écoutait les prêtres ânonner leurs longs chants en latin : il retrouvait là des atmosphères familiales rassurantes.

Le jeune garçon était entré par hasard dans l’église où officiait Pierre. Son attention avait été attirée par cette belle voix forte aux paroles enchanteresses qui ne parlaient que d’amour de son prochain.

Ce jour-là, il était resté dans l’église à écouter avidement le message d’amour de cet homme. Il s’était même agenouillé. Quand il avait relevé les yeux, l’église s’était vidée, La belle voix chantait toujours. Stephane s’était approché de l’autel ; il avait aperçu le grand homme qui s’agitait. Il l’avait tout de suite admiré.

Pendant des semaines, discrètement, il avait fréquenté la petite église. Il ne parlait à personne, ne regardait personne. Il partait toujours le dernier après avoir jeté un coup d’œil plus ou moins insistant dans la sacristie.

Jusqu’à ce jour où Pierre était sorti ayant entendu du bruit ! Ils s’étaient retrouvés face-à-face.

« Excusez-moi, mon père » avait dit timidement le jeune homme en rougissant et en baissant les yeux.

« Vous avez besoin de quelque chose ? »

« De vous » aurait aimé répondre Stephane.

En balbutiant, il finit par dire que passant par hasard, il avait entendu une voix magnifique et il avait eu envie d’en savoir plus. Il était donc entré et avait écouté.

Pierre avait souri. Son visage était devenu aussi lumineux que celui du Christ disant la bonne parole à la foule émerveillée qui le suivait et buvait avidement toutes ses paroles.

Pierre avait invité Stephane à entrer dans la sacristie afin qu’il finisse de se changer et de tout ranger. Pendant que Pierre se préparait tranquillement, Stephane ne pouvait s’empêcher de l’observer furtivement. Il se sentait troublé par cet homme, à la carrure développée, aux muscles puissants, et dont les gestes étaient tranquilles et assurés.

Ils allèrent prendre un verre dans un café voisin. Leur première rencontre s’éternisa et lorsque Stephane voulut rentrer chez lui, Pierre lui avait alors proposé de le raccompagner dans sa 2CV bariolée. Leur balade enivra Stephane. Enfin, il avait trouvé quelqu’un avec qui parler. Son pays de lumière ne lui manquait plus. Il avait retrouvé sa jeunesse, son insouciance, sa foi en la vie.

Les parents de Stephane, quoiqu’un peu surpris par le visage rayonnant de nouveau de leur fils, se sentirent soulagés et heureux de le voir fréquenter un prêtre.

Stephane assistait régulièrement à tous les offices. Il ne regardait pas le Christ sur sa croix de bois, ni la statue de la sacrée sainte Marie : il n’avait d’yeux que pour Pierre.

Pierre, indifférent ou inconscient, poursuivait sa tâche. Il aimait ce qu’il faisait et qu’il avait choisi. Il aimait bien aussi ce garçon, doux et sensible, qui l’accompagnait de plus en plus souvent.

Pour Stephane, cette amitié était devenue amour. Il ne pouvait pas vivre un seul jour sans voir Pierre. Il n’y avait pas une minute où il ne pensait à lui. Il rêvait de longues promenades, main dans la main. Il avait envie de sentir son corps contre le sien. Il aurait aimé sentir le goût de ses lèvres posées sur les siennes. Il savait que cet amour était impossible.

Le jour où Pierre emmena Stephane au bord de la mer lui fut un moment de grâce.

Ils marchèrent longuement sur la plage déserte. Puis ils se baignèrent. Côte à côte, ils s’allongèrent pour se sécher. Le corps de Stephane était devenu électrique : il sentait Pierre si proche que des fourmillements intenses ne cessaient de le traverser.

Ils se couchèrent l’un à côté de l’autre dans la petite tente que Pierre avait amenée. Ils étaient face à la plage. Le ressac agitait Stephane, il était devenu Océan.

Et lorsque Pierre s’était retourné vers Stephane, lui avait pris le visage et l’avait embrassé tendrement, Stephane, à peine surpris, s’était alors laissé aller, son cœur avait battu la chamade. Ce fut une première nuit d’amour aux couleurs divines.

Au petit matin, ils s’éveillèrent dans les bras l’un de l’autre. Ils prirent un premier bain entièrement nu sur cette plage encore déserte.

En rentrant dans la capitale, ils se jurèrent fidélité. Ils étaient conscients que leur amour ne pourrait jamais éclater au grand jour.

Stephane continua d’aller écouter les sermons étonnants et passionnés de son ami. Ils se voyaient secrètement dans des hôtels éloignés de leurs domiciles respectifs.

Mais la méchanceté et la bêtise humaine ne sont jamais bien loin. Les langues finissent toujours par se délier ; elles se vautrent alors avec complaisance dans la fange de la jalousie, de la morale idiote, de la petitesse et de la médiocrité. De soupçons à certitudes, le pas fut rapidement franchi par certains qui n’avaient rien d’autre à faire qu’observer, épier et médire.

Au début, Pierre reçut des lettres anonymes. Il ne voulut pas s’en soucier : pourtant, les deux amants devinrent simplement plus vigilants.

Un jour Pierre fut convoqué par les autorités religieuses qui le gouvernaient. Stephane n’a jamais su ce qui fut dit, mais peu à peu, Pierre devint plus distant, irascible parfois.

Ces changements désespéraient Stephane. Il voyait bien que Pierre avait décidé de s’éloigner, de l’éloigner. Il n’y eu bientôt plus de rendez-vous dans un hôtel tranquille.

Stephane perdit l’envie de boire et de manger.

Il ne mettrait plus jamais les pieds dans une église.

Stephane s’engagea dans la Légion Étrangère et l’on n’entendit plus jamais parler de lui.

C’est par hasard que des années plus tard, j’ai appris la mort au combat de Stephane.

ARTHUR

J’ai 23 ans. Enfin, je l’ai rencontré, lui, l’Unique, celui à qui je donnerai tout, celui qui ne m’abandonnera pas. Je suis tombé en amour, une jolie expression volée à nos amis Québécois.

C’est mon meilleur ami qui me l’a présenté. Nous avons passé la soirée tous les trois dans un adorable petit restaurant à la clientèle essentiellement masculine. Finalement, l’ami en commun, l’ami initiateur, nous laisse tous deux à nos divagations délicieuses.

Ce soir-là, je n’ai d’yeux que pour lui alors que la gent masculine se prélasse, se regarde, se séduit tout autour de nous.

Arthur, c’est son nom, a des yeux très noirs, très allongés. Son regard est doux et rieur. Deux fossettes lui dessinent tendrement le visage. Son sourire est contagieux et il en joue gaiement. Ses cheveux sont très sombres, courts et frisés. Il porte une chemisette blanche entrouverte sur une poitrine légèrement poilue. Son teint doucement hâlé fait penser qu’il revient tout juste du soleil.

Je pose imperceptiblement ma main sur celle d’Arthur qui ne se refuse pas. Nos doigts finissent par s’entremêler.

Je ne me souviens plus de nos discussions. Ce dont je me souviens c’est de cette atmosphère, douce et légère qui nous envahissait. Le temps était encore chaud. Comme deux amoureux, nous sommes rentrés tendrement enlacés.

Arthur habitait une petite ville de province. Nos semaines étaient téléphoniques. Nos week-ends étaient faits d’aller-retour en train.

Arthur me disait que nos cœurs battaient à l’unisson. Les yeux dans les yeux, nous nous donnions mutuellement la certitude de futurs possibles.

Puis un jour, un soir, au téléphone, Arthur a dit que cette histoire ne pouvait pas être vraie : il y avait trop d’amour, trop de bonheur, trop de plaisirs partagés. Il lui fallait prendre du recul, réfléchir. Arthur voulait du temps, un peu de temps…

Je n’ai pas eu de ses nouvelles pendant plus de six mois. Après avoir pleuré, hurlé, m’être révolté, le calme était revenu en moi. J’étais alors redevenu ce que j’avais toujours été : un célibataire !

Puis Arthur est revenu à Paris. Nous nous sommes revus, nous avons parlé. Arthur était toujours le même, charmeur irrésistible. Il m’a confié qu’il avait réalisé qu’il ne pouvait pas vivre sans moi, il regrettait ce temps de silence.

Moi je ne voulais pas souffrir, mon cœur était devenu sec. Je préférais avancer seul s’il le fallait. J’avais eu peur. J’avais refermé l’histoire.

Arthur est reparti.

Je me suis alors retrouvé seul dans mon petit studio, seul et triste. J’ai pleuré, un peu.

Non, je ne voulais pas avoir mal, coûte que coûte.

Quelques mois plus tard, j’ai reçu un coup de fil : Arthur s’était donné la mort.

Juste des mots d’enfant

Je m’appelle Zohar et j’ai six ans. Je suis le petit dernier d’une famille de quatre enfants : deux garçons et deux filles. Quand je me regarde dans un miroir, je trouve que je ressemble à un aigle avec mes yeux verts et perçants. Mes cheveux sont noirs et longs : je n’aime pas quand maman me les coiffe !

Je n’ai presque pas connu le pays d’où je viens. Je suis arrivé ici j’avais deux ans.

Moi je suis un garçon heureux. Je vais apprendre à lire cette année. Je rentre au cours préparatoire ! A la fin de l’année, je saurai lire tous les mots de la belle langue de ce pays où mes parents ont choisi librement de vivre.

Là-bas papa travaillait le bois. Et ici il fait la même chose. On dit de lui qu’il a des mains d’or. Bien sur, son index coupé par la machine lui manque quelquefois mais il me fabrique tous mes jouets. Il en vend aussi : les gens aiment. C’est maman qui va les vendre. Il m’arrive de l’accompagner. Nous nous installons dans un coin d’un grand marché de l’autre coté de la ville. Je dois juste veiller à la police comme elle me dit.

Je trouve maman très jolie. Ses longs cheveux ondulent sur sa taille fine. Elle aime porter des vêtements aux couleurs vives. Et malgré la difficulté que nous avons pour avoir de l’eau, elle sent toujours très bon. Moi, je trouve lassant d’avoir à me laver tous les jours.

Mon grand frère, Ramon, a eu seize ans. Il m’a raconté qu’il faisait de la récupération. Je n’ai pas très bien compris. Je le vois aller et venir avec des vélos, des scooters. Il semble content de lui. Papa lui répète tout le temps qu’il devrait se trouver un vrai métier ! En tout cas, moi je trouve mon frère très beau ; il est grand avec une carrure d’athlète. Sa peau est sombre comme pour chacun d’entre nous. Ses cheveux sont noirs. Mais surtout ses yeux sont intensément bleus. Et on dit qu’il a beaucoup de succès. Je ne comprends pas très bien ce que cela veut dire, mais je vois souvent des filles le regarder discrètement alors qu’il ne parait pas s’y intéresser.

Tania est ma grande sœur. Jolie brune aux yeux noirs, elle sourit tout le temps. Elle va à l’école. Elle dit qu’elle sera docteur plus tard. Du haut de ses quatorze ans, elle me contemple et m’encourage tout le temps.

Fabiola c’est ma jumelle, ou presque. Elle n’a que dix mois de plus que moi. Mais elle sait déjà lire. Tous les deux nous jouons sans cesse dans les bois autour du camp dans lequel nous vivons.

Je me rappelle d’un seul grand voyage avec mes parents. Nous sommes allés rendre visite à notre Madone au bord de la mer. Il faisait beau tout au long de notre chemin. Quand nous sommes arrivés il y avait déjà des centaines de caravanes installées. Nous avons choisi notre place et nous avons suivi la foule vers la petite église. Bousculés et heureux, nous sommes entrés. Tout le monde chantait et priait. Maman m’a poussé vers la Belle Dame : elle était couverte de dorures. Un drôle de parfum envahissait la salle. Qu’elle était belle ! Accompagnée de mes sœurs, maman semblait en extase. Moi je trouvais cela amusant.

Tous les soirs il y avait des feux de camp. L’ambiance était joyeuse. Tout le monde me parlait, quelquefois dans des langues que je ne comprenais pas.

Même mon frère était de la fête. Il semblait transformé, rayonnant. Son regard bleu brillait de mille feux, et il ne manquait pas d’attirer de jolies filles autour de lui.

Papa a acheté, en partant, une statue de la Vierge Noire : elle trône dans un coin de la caravane.

Dans le camp ici nos soirées ne manquent pas de vie. Les hommes discutent entre eux pendant que les femmes cousent, les vieux nous racontent leurs histoires, leurs voyages. Ou bien nous jouons dans les bois derrière le camp. Il n’est pas très grand mais il nous suffit pour y organiser des expéditions, des découvertes….

Je suis heureux. Tout le monde m’aime et j’aime tout le monde.

Ce matin, ma vie a été bouleversée. Tout d’abord ça a commencé par du bruit, des coups, des cris…. J’ai ouvert les yeux et j’ai vu tout le monde debout…. Maman avait l’air affolée. Elle m’a demandé de m’habiller très vite. De grands coups ont été frappés à notre porte. Papa a ouvert et cinq hommes en tenue sombre nous ont demandé sur un ton méchant de sortir rapidement de la caravane. L’un d’eux est entré et s’est mis à jeter toutes nos affaires en l’air. Papa essayait de récupérer quelques habits et quelques uns de ces objets en bois. Mais les policiers nous poussaient dehors sans ménagements. Aussitôt que nous sommes sortis, ils ont tout mis à sac, puis ont commencé de démolir la caravane. Mes sœurs pleuraient, Ramon avait les poings serrés dans ses poches, l’air furieux, maman tentait de nous rassurer.

En débarrassant nos affaires les hommes en noir ont brisé la belle statue de notre Vierge.

Autour de nous c’était la pagaille. Des enfants criaient, le camp devenait un immense chantier de destruction. Tout le monde courait dans tous les sens tentant d’entasser dans un coin ce qui leur appartenait.

Moi, j’étais assis dans mon coin. Mes genoux tremblaient. A mes cotés, Tania et Fabiola pleuraient doucement.

A un moment un policier nous a montré un bus et nous a donné l’ordre de nous y installer avec nos affaires.

Lorsque tout le monde a été dans le bus, nous sommes partis, sous le regard étonné de quelques habitants du coin.

Maintenant je suis dans une grande salle. On nous a un peu donné de quoi nous nourrir : un grand bol de soupe, quelques biscuits et un peu d’eau.

J’ai compris que j’allais devoir rentrer dans ce pays où je suis né et que je ne connais pas. J’ai compris aussi que nous n’y serons pas les bienvenus.

Ce qui me plait c’est que je vais faire la connaissance de mes grands parents. Et puis je vais prendre l’avion. Je pourrai raconter plein de choses à mes cousins de là-bas ! Il parait que j’en ai beaucoup.

Papa a empoché une petite somme d’argent, prix de notre retour au pays.

Je ne sais pas ce que nous allons devenir désormais.

Ce qui me fait le plus de peine, c’est que je ne vais pas aller dans cette jolie école que maman m’avait montrée et aussi que je ne vais pas apprendre à lire la langue de ce pays que je trouvais beau.

Papa m’a dit que nous allions y revenir…. un jour… Mais c’est un secret ! Il parait que je ne dois pas le dire.

Je me souviens

J’ai 20 ans.

Je vis ma vie. Je sais que je peux plaire. Je suis un être libre. Je sais donner du plaisir, je sais en prendre aussi.

Ma vie n’est ni triste, ni gaie.

Quelquefois je m’ennuie, d’autres fois non. Je prends la vie telle qu’elle me vient !

C’est la fin de l’été, je me balade dans les rues d’une de ces petites villes de Provence aux parfums enchanteurs.

J’entends la voix joyeuse d’un de mes amis qui me hèle. « Hey, veux-tu venir avec moi voir un copain. C’est un de mes anciens profs, c’est un mec absolument super et original. Tu vas l’aimer… »

Je l’accompagne pour le plaisir de la rencontre.

Nous entrons dans un de ces vieux immeubles dont le Sud a le secret. Murs blancs, sols de tomettes rouges. Il fait frais.

Il tape à une porte. Un homme, environ trente ans, nous ouvre et nous laisse pénétrer dans sa demeure singulière. Il y a une grande pièce remplie de livres et de partitions. Dans un coin un piano trône. À ses côtés se trouve une chaîne HIFI qui ferait rire plus d’un aujourd’hui.

Il est vêtu d’un jean et d’une chemise rose presque fluo. Ses cheveux longs ondulent. Son visage est taillé à la serpe, son regard noir est doux.

Il nous offre un thé, me sourit souvent. Il parle de chanteurs que je ne connais pas encore. Un certain Guidoni ! Une dénommée Mina. Mais la nuit tombe et je dois rentrer. Il m’accompagne à la porte, sa main enveloppe la mienne lorsqu’il me salue en me disant « tu reviens quand tu veux » avec un grand sourire. Je les laisse tous deux.

Deux jours plus tard, je passe à nouveau sous ses fenêtres. J’entends de la musique. N’écoutant que mon désir, je monte quatre à quatre les marches et je frappe à sa porte. Il m’ouvre et me sourit. Sa chemise bleue est ouverte sur une croix en or et une poitrine velue.

Il m’accueille en me disant « je savais que tu reviendrais ! »

Je ris.

Lorsqu’il me sert le thé, sa chaleur effleure la mienne. Il me regarde, pose la tasse.

Pendant des semaines, j’ai passé mes après-midis chez lui, avec lui. Nous écoutions Guidoni, son préféré. Puis Mina… « Ancora, Ancora »

Un jour il me fait écouter ses propres chansons. Une voix grave et sensuelle. J’aime.

Et puis, il m’a fallu rejoindre les bancs de la fac.

Notre dernier rendez-vous fut ponctué de phrases tendres.

Je n’ai pas cessé d’écouter Guidoni.

60 ans et quelques

Putain Dieu, je t’avais pourtant dit que je voulais m’arrêter avant !

Tu ne m’as pas entendu. Tu ne m’écoutes jamais ! Ou alors tu es trop sourd maintenant. Parce que tu es vraiment trop vieux !

Et je suis là, comme un con, à regarder ma vie. Je disserte en me demandant ce qui m’a fait survivre.

J’ai vu des hommes et des femmes, se trémousser, se dépasser pour oublier qu’un jour tout s’achève. J’ai vu l’inutilité de nos disputes, l’absurdité de nos haines. J’ai vu la peur, la tristesse, la colère parfois.

J’ai vu aussi la joie des retrouvailles. J’ai vu le pardon nous habiter. J’ai vu l’amour nous inonder.

Toutes ces années passées m’ont appris à ne plus me mentir.

Dis Dieu, ce sera quand la fin ?